Parce qu’une fois que t’as repassé l’histoire de long en large, tu penses, pendant que le pain cuit au four, à l’abondance de tes jours…
Tu te fais un café à la cafetière Italienne. Tu te rends jusqu’à ton petit bureau dans lequel tu écrivais tes articles de Café et Bas de laine. C’est avec regret que tu y penses. C’était avant que le confinement commence… Tu entres consciemment dans l’antre de ton recueillement. Ton bureau est une église, un temple, un mont sacré… Ton Oratoire St-Joseph et ses prières répétées sur les marches de l’escalier. C’est ici que tu écris les tiennes! Que tu écrivais à chaque semaine… Tu te dis qu’il faudrait bien que tu t’y remettes… Que tu te lèves de ta paralysie scripturale. Que tu écrives d’une traite. Qu’au pire, tu reprennes les pages de ton journal. Que tu fasses comme tous les miraculés du frère André, que tu te libères de tes béquilles, ta marchette, ta canne, tout ce qui tient ton inspiration en panne. Mais bon…
Petite gorgée de café.
Tu reviens à ce qui t’entoure.
Coup d’oeil par la fenêtre pour voir si le printemps est arrivé. Le parc Molson est un emmental de fonte des neiges. Un Grand cru d’espoir qui ouvre l’appétit pour le jour à venir où tu rangeras le gros manteau d’hiver. Où l’été déambulera dans les rues de la ville suivi de toute la splendeur de son cortège. Les lilas, les pivoines, les abeilles, les BBQ, les piscines, les gazons, les arbres verts. Tout le Québec attend cet instant précis où le gros manteau d’hiver sera remisé dans le bac, la housse, le sous-sol, le fond du coffre en cèdre, le coin du garde-robe paddé de boules à mites, bref! Le plus loin possible d’une autre tempête de neige et du froid qui nous irrite. Et quand ce jour sera enfin arrivé, que l’gros manteau d’hiver, tu l’auras rangé, peu importe s’il fallait que le froid ou la tempête de neige te surprennent, les bermudas, les gougounes, la chemise hawaïenne seront tiens comme une gaine à tes reins!
Pour l’instant, même la gadoue n’a pas fait de remous.
C’est encore l’hiver…
Alors, tu reviens à ce qui t’entoure.
Debout, le regard posé à la hauteur des étagères, tu alignes les titres au dos des livres bien rangés de ta bibliothèque. Le café fume une odeur de bonheur sur un fond de parfum de de sauge et de patchouli. Tu n’as pas allumé la radio cette fois-ci. Pas envie de t’inquiéter du bilan des morts des CHSLD. Pas de bruit. Pas d’agitation. Une calme pondération.
Le silence est ta bande sonore.
La paix de ton petit bureau, ton décor.
Tu ne sais pas trop pourquoi, mais soudainement le coeur te débat. Comme si quelque chose de grand se préparait. Comme si ce quelque chose de grand, c’est «toi» qui le devenait…
Devant cette armée de soldats littéraires liés dos à dos de lettres et de mots, tu fais la lecture à voix haute de petits bouts de poème: Le choc amoureux, de Francesco Alberni, L’amour triste, de Bernard Pingaud, Le sabotage amoureux, d’Amélie Nothomb, L’amour est à la lettre «A», de Paola Calvetti… Tu constates ce que tu sais déjà: tu collectionnes les mots d’amour. Le verbe «aimer» se conjugue dans tous les genres littéraires. Traduit dans toutes les langues étrangères. Le sujet de l’amour est un paquebot de mystère sans fin. L’encre des écrivains.
Tu glisses l’index au pied de la rangée de livres sur l’étagère. Une colline de fine poussière s’amasse au bout de ton tracé. Vestige de ces heures à t’attendre. Un temps libre. Une pause. Une minute à soi loin de ces faut que et ces je dois. Assujettie au verbe devoir, faire, rendre.
Presque fiévreuse. Tu comprends que le confinement sera salutaire. Heureuse condamnée jusqu’à nouvel ordre à être encabanée entre les quatre murs de ta maison. Exquise sanction. Le verdict est rendu: tu pourras lire tous les livres que tu n’as pas lus!
Ahhh! De là l’excitation tout à l’heure ressentie! Ce sentiment inopiné de trac qui t’as surpris.
Et voilà que j’en suis émue… M’allonger près d’un auteur.e inconnu.e. L’entendre se raconter sous la couverture. Se livrer sans retenue. Aller jusqu’au bout de ses aventures. Me déshabiller le coeur à mon tour en m’offrant toute entière à lui, à elle, absorbée par son histoire, lui faisant don tantôt d’un éclat d’un rire et là, le charme d’une larme. Un amour épistolaire à sens unique. Un amour platonique.
L’auteur.e ne recevra jamais de ma part les caresses rendues: tous les passages annotés dans la marge, les mots en images que j’ai surlignés et tous les post it que j’ai collés.
Je pince entre le pouce et l’index, le dos d’un livre de ma bibliothèque qui a pour titre Le jour où je me suis aimé pour de vrai, du Dr. Serge Marquis, spécialiste de la santé communautaire et consultant en santé mentale.
Bon.
Un livre de cheminement personnel.
Quoi de mieux pour entamer ce temps de retraite, de recule, ce temps pour soi, ce temps à soi. Et puis ce n’est pas gênant. Personne pour lire les titres de nos couvertures de livres dans l’métro ou dans l’autobus. Pendant que s’active le virus, on lit tranquillement chez soi, dans le confort de son salon pour éviter la contagion. Personne pour juger le choix de notre sélection de livre. Vivre et se laisser vivre!
C’est vrai qu’un titre comme Le jour où je me suis aimé pour de vrai, ça fait looser. C’est moins pire que Comment se faire des amis (que j’ai lu à l’adolescence et que je recommande fortement!), ou 101 conseils pour agrandir son pénis à faire à la maison ou au boulot, ou 1000 lieux à visiter avant d’être exécuté par Daesh, ou pire, Bouffer un cul en toute simplicité!
B’en j’ai fait l’exercice. Je suis descendue au fond de moi, quelques minutes, pas longtemps, pour me chercher, la vraie, l’essence de mon «MOI»… C’est pas comme si c’était la première fois que j’me rentrais dedans. C’est pas mon premier BBQ! C’est assez facile m’orienter. J’suis pas mal tout l’temps en mode introspection.
Sauf que là…
Y faisait noir dan’place…
Noir comme dan’cul d’un ourrr…