Des miettes que je n’ai pas…

L’instant où, assise à la table d’un café, rue Sainte-Catherine, devant un tout petit carnet de notes aux pages blanches, sans ligne, sans limite, sans ordre. Rien que des pages blanches à remplir. Même pas un semblant d’allée de jardin à suivre pour y planter mes sentiments. Un petit chemin à prendre pour ne pas s’écarter, se perdre, s’éparpiller. Trois moineaux perchés sur la rampe de l’escalier du café, à moins de deux mètres de distance, sans masque, remuent frénétiquement la tête de gauche à droite, de haut en bas, l’air de mendier des miettes de croissant que je n’ai pas commandé. Qu’un café-moka-bien-chaud-avec-un-seul-poutch-de-la-pompe-à-sirop-de-chocolat-dans-une-tasse-pas-un-verre-remplie-à-ras-bord-s’il-vous-plaît-ça-me-dérange-pas-si-y’a-pas-beaucoup-de-crème-fouettée-sul’top-merci-j’aime-mieux-ça-quand-qu’mon-café-y’est-pas-trop-sucré-t’sais. C’est une commande que j’ai pris l’habitude de défiler d’une traite, d’un jet, d’une vomissure rapide de mots parce que les commis de café sont tellement vites en affaires, aussitôt que tu mentionnes « café moka » à la caisse, t’as pas encore payé ta facture que l’espresso est en train de couler, trois poutchs de chocolat se ramassent dans un verre pis le lait est moussé. Une minute de plus, y brûle.

Elle n’a pas l’air contente de me servir. Elle bouge comme The Jackson Five dans Dancing machine à chacun de mes traits d’union. Un style de danse de robot des années 80’ qu’elle ponctue en battant des cils. Ça aurait peut-être plu à Jean-Marc ou aux Twins ou à Lydia Bouchard de l’émission « Révolution », mais moi, j’dirais plutôt que la théâtralité de son vocabulaire dégage un certain repli dans ses mouvements, l’emploi d’un langage de bas étage et que la robotisation de son non-verbal exprime sans aucun doute, un premier niveau de secousses d’impatience.

Suis-je une cliente pointilleuse?

Me semble… C’est pas comme si je débarquais avec une trâlée de suppléments alternatifs pour up grader mon café: Pas du lait de vache, du lait d’amande. Non! Du lait d’avoine. Non! S’cuse, t’as-tu du lait de coco? Pas d’mousse. Stevia à la place du sucre, et j’en passe. J’ai pour mon dire qu’une vache produit du lait, le p’tit veau boit sa dose pis le producteur de lait s’fend l’cul en quatre pour me pasteuriser ça, me l’emboiter dans un carton ciré peut-être pas recyclable, mais qui peut servir d’une belle grande Église au centre de mon village à Noël sous mon beau sapin roi des forêts, si j’y mets deux, trois couches de peinture pis une ampoule à batterie pour l’éclairer. Ne me parlez pas de lobbying, de propagande ou des documentaires cauchemardesques de mauvais traitement fait aux vaches de qui on arrache les p’tits veaux pas sevrés pour lesquelles elles produisent du lait et qu’on se le mette en bouteille ou sur les tablettes des épiceries, dans l’allée des produits laitiers. Mon grand-père Jules avait une ferme laitière qu’il a léguée à son fils, mon’oncle Albert, et les vaches, elles étaient bien traitées. Du moins, elles avaient l’air heureux. Elles cerclaient le pâturage qui s’étendait du chemin du Grand-Coteau à L’Épiphanie, jusqu’à la rivière L’Achigan. Ruminaient leu’foin. Digéraient quatre fois. Produisaient le lait qu’il pompait dans sa trayeuse. Des belles vaches Holstein.

Je me dis aussi, qu’une personne (parce qu’on ne peut plus dire « femme » puisque les hommes aussi peuvent accoucher) qui accouche et qui met son enfant en adoption à la naissance, elle produit aussi du lait qui ne servira pas sa fonction première: d’alimenter son nourrisson. Et le nouveau-né, pas sevré encore, fera son petit bout de chemin quand même dans les bras de ses nouveaux parents aimants.

Pis à part de d’ça, j’y sauve un poutch de pompe de sirop de chocolat pis de crème fouettée au même prix qu’un full body experience Café Moka normal. Pis en plus, j’lui épargne le gaspillage du lait chaud qu’elle a moussé en trop grande quantité pour la capacité de ma moyenne tasse!?

Pfff…

En tu’cas…

J’en reviens à mes trois moineaux qui ne s’impatientent aucunement eux, de ma table vide de miettes de croissant. J’ai le sourire épinglé au visage. Mes habits sont propres. Je suis parfumée. J’ai du rouge à mes lèvres. Je m’apprête à écrire, à aller à la rencontre de moi, un de ces rendez-vous en tête à tête que je préfère. Je me suis de bonne compagnie.

Enfin prête et installée, je m’aperçois que le gel noir servant d’encre dans mon stylo Pentel R.S.V.P. fine, est vide. La panique monte. Le temps d’une seconde. Pas longtemps. Une seconde seulement. Ce n’est pas long une seconde. C’est baisser les yeux sur l’écran de ton GPS sur l’autoroute, à 120 km à l’heure, les remonter et manquez sa sortie. C’est faire ton angle mort trop tard pour changer de voie et te faire rentrer dedans. C’est sortir des portes du métro Beaubien de peine et de misère, parce que le coup de vent que génèrent les portes battantes est aussi puissant que les rafales violentes et intempestives d’un vent d’Autan qui souffle sur le midi de Toulouse. Ça prend une seconde pour voir la 18 Est refermer ses portes et démarrer sans toi. C’est pas long une seconde de panique, mais ça fait pomper l’cœur vite pareil.

Assise à ma table, en face de mes trois quêteux ailés, je ne risque aucun retard d’arrivée ou d’accident de la route, mais il me semble à cet instant, alors que je viens d’entrer en scène, sur le théâtre de mon envie d’écrire, à la terrasse d’un café rue Sainte-Catherine, que je dois conclure en un rendez-vous manqué.

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